Dans le cadre du Festival du Film de Comédie de Liège, Gérard Lanvin foulait la scène belge pour la première fois de sa carrière aux côtés de son bluesman de fils, Manu, qui parle avec beaucoup de bienveillance et d’amour de son père acteur devenu chanteur grâce à lui lors d’un confinement en 2020…
Tourner seul, vous connaissez. Maintenant, vous tournez avec votre père, Gérard Lanvin. C’est pareil ou vous devez changer vos habitudes ?
Manu Lanvin : C’est un exercice un peu différent mais moi j’aime bien, parce que ça permet de sortir de sa zone de confort. C’est vrai que mon groupe c’est une vieille histoire, j’ai l’habitude de driver mon show tout seul. Mais c’est un exercice intéressant car je me mets au service d’un autre. Je ne suis plus le chanteur principal sur scène, je suis l’accompagnant, le side guitariste, et c’est chouette. Après, je suis à la genèse de cet album, je suis impliqué dans la composition… et je le fais pour mon père, donc je le fais évidemment avec beaucoup d’amour, c’est un exercice nouveau pour lui. L’idée, c’était pas de l’emmener dans une embuscade, un piège, l’idée c’était qu’il soit à l’aise. L’album a bien fonctionné en France. Au début, je voulais simplement faire un album et je ne pensais très sincèrement pas qu’on tournerait. Ce n’était vraiment pas dans mes objectifs. Ensuite, c’est venu, on a fait l’Olympia et très vite on a été sollicités pour plus, encore plus. L’idée c’est que cela reste toujours une parenthèse pour mon père. Je ne veux pas que cela devienne son activité principale même si je soupçonne qu’il adorerait ne faire que ça, parce que c’est le plus beau métier du monde. C’est inégalable, cette émotion que l’on reçoit de public, tout cet amour… Cet émotion-là, il ne peut pas la retrouver au cinéma. Là, il est lui. C’est la seule façon possible d’être dans le moment présent. J’ai rencontré d’autres acteurs en fréquentant le milieu avec lui, qui sont parfois devenus chanteurs, et je sais que parfois ça devient comme une drogue.
Vous le trouvez plus épanoui là-dedans qu’en tant qu’acteur ?
J’ai vécu les backstages de tout ça. J’ai vécu avec un père qui a été une superstar du cinéma. Mais ça, c’est ce qui est présenté aux gens. On est comme dans un monde idéal. Comme en musique d’ailleurs, je pense que quand on pratique beaucoup un métier, on en voit l’envers, le business, les gens qui le tiennent… On reçoit de l’amour mais on emmagasine aussi beaucoup de frustrations, beaucoup de déceptions. Je comprends que de temps en temps on ait envie de se renouveler. Il aborde donc cela avec beaucoup de jeunesse. Lorsqu’il monte sur scène, je ne vois pas l’acteur qu’il est avec son âge, je le vois comme un adolescent qui découvre. Et c’est bien, de ne pas tout maîtriser.
Votre père a toujours été considéré comme quelqu’un de très grande gueule, avec beaucoup de choses à dire. La musique lui permet de le faire encore davantage ?
Oui, bien évidemment. Au cinéma, tu joues les rôles d’un autre. Il avait envie de s’exprimer face aux gens autrement qu’au travers de ses films. Je le voyais souvent, lorsqu’il était accosté par des gens. Les anciens nous apprennent la sagesse, ils ont l’expérience et j’avais envie que son point de vue apparaisse dans l’album. Beaucoup pensent que c’est un album de râleurs mais c’est surtout un album qui parle de solidarité, d’empathie, de tolérance… de plein de choses essentielles qu’on oublie parfois dans ce monde un peu bordélique, où l’information est là pour diviser. Lorsqu’il s’attaque à des sujets comme ça, c’est intéressant. C’est dit avec des mots simples, parce qu’il faut parler au plus grand nombre. Tout ça m’intéresse dans son langage et c’est ce qui m’a intéressé de produire. Ses notes, ses réflexions… mises en musique. Il ne s’agit pas d’en faire le plus grand chanteur de tous les temps !

D’habitude, c’est un peu le père qui inspire son fils. Ici, c’est l’inverse, vous l’avez inspiré, poussé à se lancer dans la musique.
On s’est retrouvés en confinement bloqués à Paris et on avait déjà l’idée de s’essayer sur l’une ou l’autre chanson. Il avait écrit un texte sur la violence faite aux femmes, car il a toujours été marqué par la mort de Marie Trintignant notamment. Puis pendant le confinement il y a eu une remontée de violences au sein des foyers et on s’est dit qu’il fallait qu’on fasse quelque chose là-dessus. On a aimé se retrouver pour cela, il avait une autorisation de sortie et il pouvait me rejoindre en studio chaque jour. C’était une occupation plutôt que de se morfondre devant l’actualité et l’angoisse qui régnait. Le fait d’avoir une activité artistique, ça te décolle du réel : c’était comme une petite récréation dans la journée. Ce à quoi on aspire : créer pour les autres, des paroles qui véhiculent des choses positives.
Pour vous, la musique doit être engagée ?
Pas forcément, mais elle peut l’être et c’est ce qui est génial. La musique a souvent été bannie ou très mal vue, parce qu’elle délogeait les enfants des églises aux Etats-Unis, etc. Ça faisait du tort car on leur permettait de se désaliéner de certaines choses qui faisaient partie de leur quotidien. C’est un pouvoir que nous possédons de raconter des choses du quotidien, des peines de coeur… Qui finalement touchent les autres aussi.
On dit souvent que le public belge est différent. C’est vrai ou c’est une légende urbaine ?
Oui, il l’est ! C’est un peu la zone test quand on commence un spectacle. J’ai la chance de jouer ici de plus en plus et c’est toujours beaucoup de bonheur. Ce qui m’intéresse, c’est que la Belgique est un carrefour où la musique anglo-saxonne et francophone se sont parfaitement mélangées, bien plus qu’en France. Vous avez une culture rock beaucoup plus importante et plus riche qu’en France, ce qui explique d’ailleurs l’émergence de groupes fabuleux comme Triggerfinger par exemple que j’adore, ou encore Arno, qui était super sur scène comme mec. C’était de la chanson à texte, de la poésie, avec un putain de groupe de rock derrière. Alors qu’en France, on retrouve de la musique un peu plus mielleuse, plus facile, on prend moins de risques qu’en Belgique et je pense que c’est juste culturel. Le rock’n’roll vous l’avez compris, alors qu’en France, on ne l’aime pas. Les radios n’aiment pas le rock’n’roll. Les radios n’aiment pas les guitares, ils en ont peur. Tu as l’impression d’être un animal tatoué, pestiféré, dés qu’on branche une guitare électrique, c’est bizarre !