Alors qu’il vient de sortir The Crossing, un nouvel EP, avec son nouveau projet River Into Lake, Boris Gronemberger continue d’être omniprésent sur la scène musicale belge. On a pu le voir entre autres avec V.O., les Girls in Hawaii ou encore Castus et cet artiste aussi polyvalent que talentueux continue de faire fleurir ses idées donc on ne pouvait pas passer à côté de l’occasion d’échanger avec lui.
Pour celles et ceux qui ne te connaissent pas, peux-tu nous présenter le projet River Into Lake ?
River Into Lake c’est un peu la continuité de mon ancien groupe qui s’appelait V.O. et qui date d’il y a pas mal d’années et avec lequel on a fait trois albums. Au moment où je me suis remis à écrire, j’avais envie de changer de nom et de repartir à zéro. C’est en cherchant un peu que j’ai fini par proposer ce nom, c’est un clin d’œil à un autre groupe dans lequel je jouais avec d’autres membres du groupe et qui s’appelait Raymondo et dont le dernier album s’appelait… River Into Lake. J’aimais bien cette image de quelque chose de petit qui vient nourrir quelque chose plus grand. Tout le monde était assez chaud et on est parti sur ça. C’est une façon de repartir sur des bonnes bases !
Tu marques vraiment une cassure avec V.O. ?
Je pense qu’il y a une continuité quand même, déjà parce que c’est moi qui écris les chansons et je reste la même personne malgré tout. Après, j’essaie d’explorer d’autres choses que je n’aurais pas faites avant, je me suis notamment plongé dans le monde des synthétiseurs et ça m’a amené ailleurs musicalement. Du fait que c’est moi qui écris les chansons, les gens qui connaissent déjà V.O peuvent sentir une espèce de continuité dans ma manière de faire de la musique.
Dans ce nouvel EP, tu parles de sujets de société très présents tels que la surinformation, le survivalisme… Comment évalues-tu l’engagement de l’artiste à l’heure actuelle ? Tu penses que c’est dans l’essence de l’artiste ou c’est vraiment un choix personnel ?
C’est un peu des deux, c’est personnel et en même temps je pense que c’est important de s’engager en tant qu’artiste parce que ça manque un peu et je trouve que c’est difficile de faire semblant que tout va bien alors qu’on voit bien que c’est compliqué. Même si on prend le contexte mondial hors covid, c’était déjà compliqué à la base d’un point de vue, social, économique et même environnemental. Forcément ça m’atteint en tant que personne et ça repasse dans ma musique. J’essaie d’insuffler mes idées par rapport à ça dans mes chansons mais sans spécialement donner des leçons. C’est plutôt partager ma manière de voir les choses.

Dans Grand Prairie, tu parles de la jeunesse qui fait face à un monde un peu bordélique. La culture est quand même fort présente chez les jeunes aujourd’hui, peut-être même plus qu’avant. Est-ce que ce ne serait finalement pas cette jeunesse qui sauvera les générations futures mais aussi passées ?
Je l’espère en tout cas ! Je pense que ça a toujours été un peu le cas, la jeunesse a souvent pris les choses en main, on parle souvent de mai 68 comme un grand moment du XXème siècle dans les mouvements de jeunesse. Il y a eu aussi les mouvements en Allemagne de l’Est lors de la chute du Mur de Berlin, ça a été vachement initié par la jeunesse qui y a vachement contribué. J’espère que les jeunes vont continuer à se battre et à faire avancer les choses même si, vu le contexte, en ce moment c’est plus compliqué. Il y avait ce mouvement pour le climat avant la crise sanitaire et que je trouvais très intéressant. Même si on n’adhère pas spécialement à l’idée, c’est super positif que les jeunes se mobilisent et descendent dans la rue pour faire entendre leur mécontentement et leur envie de faire changer les choses, je pense aussi au mouvement Black Lives Matter. Je garde espoir que ça puisse continuer même si c’est compliqué en ce moment d’aller manifester.
Le contexte actuel est super compliqué pour la culture. Comment ça se passe la création d’un disque en période de confinement ?
Je me suis beaucoup posé de questions pour savoir si ça avait beaucoup de sens ou pas donc j’ai pris un gros mois de break. J’étais en pleine tournée, on avait déjà fait quelques dates en Allemagne avec le groupe et là j’étais en tournée en solo avec Agnès Obel donc ça devait être une grosse année puis on a tous été sapés d’un coup. J’ai donc pris du temps pour comprendre tout ce qui se passait et pour me remettre en question. Et puis je me suis dit que j’avais envie de continuer à faire de la musique. C’est vrai qu’on ne peut plus jouer devant un public tout comme plein d’autres choses mais ça on peut le faire, c’est presque une des dernières choses qu’il nous reste. Je me suis dit que j’allais foncer là-dedans et ça m’a presque motivé à aller au bout de projet parce que l’EP était déjà prévu mais ce n’était pas encore très sûr et ça m’a vraiment boosté d’aller au bout des morceaux. J’avais plein de temps devant moi pour le faire et c’était vraiment chouette. Et comme on ne sait toujours pas ce que ça va donner dans les six prochains mois, je fais un break pendant les vacances de Noël et puis je me remettrai à bosser sur des nouvelles choses pour après parce que je n’ai rien d’autre à faire (rires).
Tu parles des concerts, comment est-ce que tu envisages la reprise de ton côté ? Tu n’as pas peur des embouteillages dans les salles ?
Je suis gentiment en train de m’en inquiéter parce que pendant un petit temps, personne ne savait rien ni ne bougeait. Et là je vois que des artistes commencent à annoncer des choses même pour juin et l’automne donc je me dis que ce serait peut-être bien de m’y mettre. L’embouteillage est déjà là, déjà à cause du simple fait que beaucoup de choses annulées sont en fait reportées à l’année prochaine du coup je ne sais vraiment pas comment ça va se passer en termes de dates. Je me pose aussi la question de savoir si je veux jouer dans des lieux où ça va vraiment être embouteillé. Pourquoi ne pas aller jouer dans des granges, chez des gens, dans leur garage, salon, jardin… ? Peut-être que j’irai davantage vers de choses comme ça pour pouvoir continuer à jouer devant des gens plutôt que d’être énième dans une liste de groupes qui attendent de jouer.

Tu as eu l’occasion de tester les concerts entre les deux confinements ?
Oui, je suis passé entre les gouttes. On avait une date prévue aux Nuits Botanique qui a été reportée en octobre et qui a pu se faire. J’avais des dates avant et après aussi puis le deuxième confinement est arrivé.
Comment tu les as vécus ?
Au début, c’était un peu particulier. Le premier concert, c’était chez Les Gamines à Poix-Saint-Hubert, une sorte de bar d’hôtel et on était à deux sur scène avec des gens qui étaient là. Dans mes souvenirs je ne sais même plus s’ils étaient masqués ou non. On pouvait avoir des bulles à table sans masque et j’ai joué devant 60-70 personnes à table donc ça donnait un peu l’impression d’un concert normal ambiance cabaret. C’était magique parce que les gens étaient ravis de voir un concert (rires) et du coup on a joué pendant 1h30, c’était trop bien. On a eu un concert à Eupen à peu près dans les mêmes conditions, c’était vraiment au Bota où là c’était devant un public masqué. C’était un peu particulier mais je me suis dit que j’aimais autant ça que de ne pas pouvoir jouer du tout. Après, j’ai bossé sur des créations de théâtre où on était au Théâtre national et où on devait être masqué aussi mais au moins, on bossait ! On faisait ce qu’on avait envie de faire et on est allé au bout. Ce n’est pas optimal mais c’est mieux que rien. Je ne dis pas que j’aurais envie que ça soit comme ça pour toujours mais là on attend que les choses se calment un peu. Je préfère ce qu’on a vécu entre les deux confinements, clairement.
On a beaucoup parlé du statut d’artiste dernièrement. Comment le vois-tu en Belgique ?
C’est très compliqué… Moi je l’ai depuis une bonne douzaine d’années, c’est super, ça me sauve la vie ! Maintenant, ce qui me dérange c’est la position de chômeur parce qu’on n’est clairement pas des chômeurs. Tout ça est très flou et l’Onem joue beaucoup par rapport à ça, c’est très compliqué. Je me suis déjà retrouvé à des contrôles où j’étais face à un contrôleur qui ne comprenait pas ce que je faisais… Dans la communication, on n’est pas toujours considérés comme des travailleurs donc on doit remettre un certain nombre de jours par an mais ils seront faits à côté pour préparer un disque. Ce qu’on fait pour préparer la promo également, ce n’est pas pris en compte. C’est particulier. Ce que j’espère, c’est que tout ça change et que ça soit plus en phase avec la réalité du métier que ça soit pour un musicien, un technicien, peu importe. Depuis 2011, ils ont retiré le droit aux créateurs qui, selon moi, sont les premiers à en avoir besoin… C’est une question de société de savoir ce qu’on veut ; est-ce qu’on veut soutenir ça ou pas ? Pour moi, un créateur est aussi important qu’un prof ! C’est mon point de vue, dans l’idéal pour moi ce serait qu’on réinjecte plus d’argent dans la culture et qu’on considère ses acteurs un peu mieux que ce qu’on le fait maintenant.
Quelle est la suite des projets pour toi et River Into Lake ?
River Into Lake c’est un peu devenu mon projet principal et celui avec lequel j’ai envie de m’exprimer le plus maintenant et j’espère pouvoir en vivre un petit peu. Je vais m’atteler à l’écriture et peut-être qu’il y aura quelques petites surprises en 2021…