Conf’interview #5 : ThomC

Doit-on encore présenter ThomC sur Musically Yours ? Chanteur-guitariste, Thomas est un passionné de musique depuis de nombreuses années. Après avoir tout plaqué pour pratiquer son art, il a à ce jour sorti trois albums et de nombreuses chansons. Il se produit aussi régulièrement dans les rues de Namur (du moins lorsque c’était encore permis) où l’on peut l’entendre chanter des heures durant.

Comment tu vas aujourd’hui ?

Aujourd’hui ça va, disons que j’essaie chaque jour de maintenir la barre, de me dire que ce que je fais a du sens mais aussi de me maintenir psychologiquement et physiquement, c’est très important.

Comment as-tu vécu le premier confinement ?

La première vague a été plus compliquée que ce que je ne pensais. J’avais entamé ça de manière très enthousiaste et au final ça a eu plus de tort que de bon de manière physique et psychologique. Du coup j’ai entamé cette deuxième vague « à la cool » en sortant, marchant un maximum en espérant que les déplacements seront toujours autorisés parce que c’est essentiel.

Du coup comment tu le vis ce second confinement ?

En fait j’ai fait pas mal de choses pendant le premier. Avant de confiner, donc au mois d’octobre 2019, j’ai décidé d’arrêter le live pendant un moment. Je venais de sortir mon troisième album (Hypothermic Love ; ndlr) et je me suis dit que je devais arrêter ce cycle de concerts et que je fasse autre chose pendant un petit bout de temps. Et quelques mois après, on apprenait qu’il y avait cette maladie un peu spéciale en Chine et on a commencé à paniquer en Europe puis on a confiné. De mon côté j’étais déjà dans une sorte de confinement parce que je sortais beaucoup moins, je faisais beaucoup moins de concerts même si j’allais encore un peu jouer en rue et que je croisais encore des gens. On peut dire que mon style de vie était déjà comme ça avant que les gens ne me « rejoignent ». C’est comme s’ils s’étaient calqués sur mon mode de vie d’un jour à l’autre et je me suis rendu compte qu’ils étaient dans le même cas que moi. Je ne me suis pas réjoui mais j’avais l’impression de pouvoir faire ressentir ce que j’éprouvais. C’est ça le confinement pour un artiste, c’est choisir des jours pour créer mais ça a eu un impact sur ma santé physique, je n’étais pas bien du tout.

C’était lié au confinement ou à autre chose ?

Au confinement, à une très mauvaise hygiène de vie parce que je ne sortais plus du tout sauf pour sortir le chien quelques minutes et à cela tu ajoutes le stress, les news, le manque de sommeil, la malbouffe… et au bout d’un moment ton corps te dit que tu vas te prendre une double claque si tu continues. Je m’en suis rendu compte peut-être un peu tard mais j’ai pu me ressaisir et je me sens beaucoup mieux qu’il y a quelques mois. Il a fallu que je fasse un gros travail, j’ai perdu du poids… Je ne suis pas très grand et peut-être que des personnes qui le sont savent mieux le gérer mais pour moi c’était vraiment difficile d’être en surpoids au niveau physique donc toutes ces choses ensemble ça a été un peu explosif.

Pic by Antoine Binamé

Tu as mis des choses particulières en place durant cette période ?

J’ai fait des vidéos de production sur ma chaîne YouTube. Je présentais des plugins de production musicale, des librairies de samples… c’était bien fun ! C’était pour un public assez ciblé mais j’ai eu pas mal de retours et même des fans, des gens intéressés par ce milieu.

Ça t’a ouvert des portes ?

Oui quelques-unes, il y a même eu des collaborations avec plusieurs développeurs, plus que je ne pensais. Même au niveau des compositeurs et des gens du milieu, même par exemple au niveau du public américain, j’ai remarqué que la plupart des personnes qui suivaient ma page venaient des USA. C’était assez fun de voir le public cible. J’ai eu vraiment des chouettes contacts et appris plein de trucs au niveau de la production. Et après ce n’est pas que j’en ai eu assez mais je me suis dit que j’allais faire un petit break et là je suis en train de préparer des nouvelles vidéos. Du coup je me suis lancé un autre défi, c’est d’écrire, composer, enregistrer, mixer… un morceau par semaine. Et chaque week-end un morceau sort, parfois deux si je suis en retard (quand c’est le cas c’est que je prépare d’autres choses [Rires]). Il est possible que je ressente aussi les choses différemment donc j’ai envie de bien faire la chose. Et donc depuis mi-septembre il y a 8-9 titres qui sont sortis.

De quoi t’inspires-tu pour ces titres ?

C’est assez intéressant parce qu’il y a une espèce d’urgence dans l’écriture et dans la composition, tu ne peux pas attendre. Tu dois puiser dans ce qui t’est proposé. La semaine dernière, j’ai sorti deux morceaux assez joyeux et je me suis rendu compte que c’était vraiment un exercice difficile car on est entourés de choses anxiogènes et c’est peut-être ce qui a été problématique pour moi durant la première vague sans que je m’en rende compte mais si tu ne prends pas un peu de recul par rapport à tout ça, tu peux craquer. Mais je m’inspire de plein de choses, la politique m’inspire pas mal mais pas spécialement celle qui organise la société, plutôt la résistance à l’autorité, ce qu’on est en train de vivre. Je pense qu’on est à la jonction de quelque chose d’essentiel et qu’on n’a pas encore traversé quelque chose de fort et je ne sais pas si ce sera une guerre, une révolution… mais je pense que cette pandémie aura déclenché quelque chose. La vie quotidienne et les émotions m’inspirent beaucoup aussi.

Tu parles de politique, est-ce que justement tu aurais un message à faire passer aux politiciens par rapport à ce qu’ils ont mis en place pour les artistes ?

Pendant le confinement, on a vu pas mal de lettres ouvertes, des j’ai pas l’habitude de m’exprimer comme on les appelle avec ma mère mais moi je n’aurais pas grand-chose à dire pour la simple et bonne raison que je ne pense pas qu’il y ait beaucoup à dire, c’est peut-être un peu fataliste de ma part. Je ne pense pas qu’il y ait quelque chose à revendiquer, en tout cas si c’est pour vivre dans le système dans lequel on vit. J’ai vu passer ce genre de question plusieurs fois et je me suis dit qu’on ne pouvait pas revendiquer un système de santé fort ou un système culturel fort alors que pendant des années on a flingué le service public et donné du pouvoir à des gens qui ne veulent pas forcément le bien dans notre société tout en cherchant à faire du profit. J’ai peur de devoir pleurnicher pour un système qui ne veut pas forcément de ça. Je pense sincèrement que le gouvernement s’en bat complètement de ce qu’on vit en tant qu’artistes. Mais j’ai envie de garder une forme de décence aussi par rapport au personnel hospitalier. Oui, on est un peu les oubliés de ce confinement mais personnellement j’ai encore un toit, je sais me nourrir et je ne vais pas voir des gens en train de mourir tous les jours, les intuber, pleurer parce que je vois des vieilles personnes qui ne peuvent pas voir leur famille. Des gens vivent encore ça tous les jours aujourd’hui donc je ne peux pas trop me plaindre. Maintenant, en tant qu’artiste j’ai du mal à revendiquer quoi que ce soit. Comment faire comprendre à des gens qui ne vivent pas la même réalité que toi que c’est important ce que tu fais ? Que ton truc est essentiel sans être profitable ? Je me suis dit pendant le confinement, et encore maintenant, que je n’ai aucune utilité si ce n’est de donner un peu de plaisir aux gens mais ça s’arrête là, je n’ai pas la prétention de vouloir sauver les gens. Je ne crée pas une masse d’argent, je n’ai pas cette valeur-là. Comment dire à des gens qui parlent de budget et de milliards d’euros que moi je joue de la guitare dans ma chambre et que je sors des singles et qu’il faut me soutenir ?

On pourrait se poser la question différemment et se demander ce qui devrait changer dans le statut d’artiste alors ?

Alors là c’est déjà plus ciblé et pragmatique ! Ça induit le fait que ce qu’on fait est essentiel, avoir un statut c’est être inclus dans la société. Pour moi, il n’y a pas de statut d’artiste à l’heure actuelle dans la mesure où ce statut, c’est juste un octroi du chômage donc ça n’existe pas mais la réalité du métier existe ! Je pense qu’il faut être conscient de la réalité du métier, du fait qu’on produit moins de richesses au niveau monétaire que d’autres fonctions dans la société. J’aime bien le statut d’indépendant par exemple mais financièrement ce n’est pas possible pour moi de l’obtenir avec toutes ces sommes à rentrer chaque trimestre. Je pense qu’il faut une espèce de transition entre les petits et les grands artistes donc… une classe moyenne, ce qui existe de moins en moins. Il y a une quantité d’artistes qui continueront à fonctionner parce qu’ils sont dans le circuit et il y en a beaucoup, beaucoup d’autres, sans doute la majorité, qui vivent de concerts en en faisant à donf mais à l’heure actuelle c’est très compliqué. Je vais te poser la question à toi : est-ce que tu penses qu’il faut que les artistes aient une spécificité à leur égard vis-à-vis de ce qu’ils gagnent ? Quand on parle de ça avec des gens qui bossent à l’usine, ils nous répondent « levez-vous à 5h et trouvez-vous un vrai travail ! »

Je pense pour ma part qu’il y a un gros problème au niveau du statut d’artiste tel qu’il est conçu légalement. Pour l’être reconnu, en gros, ça se joue en termes de prestations donc tu peux être hyper productif mais ne pas faire de concerts ou l’inverse mais dans un des deux cas tu ne touches pas un balle parce que tu n’es pas reconnu comme c’est le cas pour le batteur de Loïc Nottet (cfr notre interview réalisée dernièrement). Pour moi il faut revoir ça parce que ça reste une « catégorie » marginalisée, on entend souvent « fais ça comme hobby et trouve un vrai métier ». C’est bien la preuve qu’il  y a un problème, les gens ne savent peut-être pas que si un artiste ne se lève pas à 5h, il peut se lever à 9h mais finir sa journée à 3-4h du matin donc il y a selon moi un problème de considération.

Oui et c’est le premier truc dans lequel on taille quand on a besoin d’argent. C’est intéressant, tu vas sur quelque chose d’important : est-ce que notre métier d’artiste doit faire partie du service public ou du service privé ? Si on est censés être subventionnés, si un artiste est quelqu’un qui apporte de la valeur dans la société, et qui doit exister et être rémunéré comme tel grâce à l’Etat, alors on fait partie du service public et on doit tous être soutenus. Il faudrait presque un salaire universel. Ou alors c’est le contraire, à l’américaine quoi, on fait entièrement partie du service privé mais on ne taxe pas à 50% quand il faut déclarer que t’as vendu je ne sais pas combien de CD’s et que t’as fait trois concerts. Il faut un juste équilibre.

Je change un peu de sujet mais comment perçois-tu les artistes qui ont fait des lives payants ? Ça s’est pas mal développé gratuitement et on passe maintenant, parfois, à des modèles payants.

C’est sans doute louable dans la mesure où tout le monde a des factures à payer. Ça apporte quelque chose mais ça amène une sorte de dissonance avec le fait qu’on a tout gratuitement facilement et en même temps on peut avoir la même chose mais payante. Donc tu peux voir par exemple Nick Cave jouer je ne sais pas où gratuitement mais tu peux aussi payer 50 balles pour le voir derrière un piano sur sa dernière tournée, je pense même qu’il y avait plusieurs tickets. Ça a sa raison d’être en cette période mais je ne pense pas que ça soit lié à une chose. A long terme, je pense que ça pourrait être exploité. Je n’en ai pas vu personnellement, je ne sais pas si tu as des choses en plus. Le truc avec les concerts c’est que tu as aussi le contact avec le public, le contact direct, et ça on le perd dans le virtuel. Je pense que tout le monde en a pris conscience avec le Covid parce que les gens ne pouvaient pas voir leur famille, leurs grands-parents… On a été séparés de nos proches, les artistes de leurs fans… Bref je pense que ça a de l’intérêt, mais que ça ne remplace pas le vrai live en tout cas.

Pic by Antoine Binamé

Tu ne vois pas ça comme étant l’avenir des concerts ?

Peut-être que ça l’est mais je pense que les plateformes qui y sont dédiées vont encore se développer, je n’en sais rien. Si je dois me mettre en tant que public, je serais prêt à payer pour voir un artiste dans la mesure où je le soutiens mais on est tellement inondés de culture que c’est difficile d’imposer son truc. Tu en penses quoi toi en tant que fan ?

J’ai juste hâte de pouvoir remettre les pieds dans une salle en fait. Là, un groupe que j’aime beaucoup va sortir un album et sûrement refaire une tournée, je ne m’imagine pas les regarder dans un Sportpaleis vide en faisant « wouhou » dans mon canap’. Objectivement parlant, je n’en sais rien. Je dirais que ça va être comme ça à court-terme tant qu’on ne pourra pas retourner dans des salles avec des conditions normales. Mais je pense que le public et les artistes sont trop demandeurs de retourner dans une salle.

Je suis d’accord, c’est une solution à court-terme, peut-être que ça va se développer, c’est dur à dire.

Comment tu envisages la suite de ton côté ? Tu continues à sortir un morceau par semaine ? Tu comptes refaire des concerts ? Des albums ?

Tout d’abord, j’essaie de m’imaginer la suite en tant que personne plutôt qu’en tant que musicien. Est-ce que les gens ne vont pas en avoir tellement plein le cul qu’ils ne vont pas aller manifester de manière plus virulente ? J’ai l’impression, au niveau du personnel hospitalier, que le ras-le-bol est bien là. La première vague a été dure mais on était en été, on a vu que tout le monde se soutenait, c’était une découverte même si c’était horrible et on voit bien qu’avec le deuxième on arrive en hiver, les esprits sont fatigués, les gens tendus… Donc comment j’imagine ça ? J’imagine deux choses : soit on aura une grosse fête où on boira des coups en faisant les cons, les gens danseront sur les plages, on verra des gens debout sur des bagnoles comme quand l’Italie avait gagné la Coupe du monde ou alors une certaine forme de révolution en parallèle avec des gens qui tapent sur le clou pour avoir un statut honnête ! Mais sinon en tant qu’artiste, j’aimerais continuer à sortir un ou deux morceaux par semaine comme je fais pour le moment mais pendant un an si possible et après ça, si le covid se finit avant, j’aimerais bien recommencer à jouer en rue mais en Europe, prendre le train et me barrer pendant longtemps. J’avais cette idée juste avant le covid et le faire pendant l’hiver mais ça ne s’est pas fait. Je voudrais gagner de l’argent en rue, aller dormir quelque part et continuer comme ça jusqu’à ce que je ne puisse plus. Aller de ville en ville avec ma guitare sur le dos et essayer de survivre en jouant pour les gens, me faire connaître comme ça.

Ça fait déjà un moment que tu as ce projet en tête il me semble…

Oui ! Mais ça reste difficile à envisager quand même, je me dis quand dans les 3-4 ans à venir je ne vais peut-être pas connaître ça… On va rester dans une forme de tension où tout va être délicat et il faudra toujours faire attention à l’autre et à soi-même au niveau du virus. Là où je veux en venir, c’est que ça va changer les mentalités. Il y a quelques mois, quand je jouais en rue des gens me faisaient la bise, même de ceux que je ne connaissais pas parce qu’on discutait un peu puis en partant on se claquait une bise et c’est peut-être un truc qu’on ne fera plus alors que c’est imprimé dans notre ADN en tant que Belges. Ça m’attriste… T’en penses quoi toi ?

Je fonctionne un peu en montagnes russes. Des fois je me dis que dans deux mois c’est fini et le lendemain je vais me dire qu’on ne fera plus jamais rien comme avant. Quand j’ai revu mes potes pendant le déconfinement c’était chacun sa chaise alors qu’en temps normal on boit des coups et on se fait la bise dès qu’on est un peu saouls et maintenant on se dit qu’on ne pourra peut-être même plus s’effleurer. Je me prononce difficilement mais au fond de moi j’espère sincèrement que ça redeviendra comme avant mais je ne sais pas me prononcer.

Moi il y a une grande partie de moi qui veut une révolution. J’en ai ras le cul du monde dans lequel on vit. Je trouve que depuis quasi deux ans, l’être humain déconne complètement. Regarde ici avec le covid il y a je ne sais combien de millions de visons qui vont être euthanasiés à cause d’une variante du virus qui s’est développée. En plus, dans ce pays le vison est déjà exploité pour sa fourrure donc non seulement l’être humain exploite des bêtes pour ça alors qu’on fait plein de choses dans le synthétique et en plus développe, malgré soi c’est vrai, un virus de manière ultra rapide mais cette transmission n’est que le fruit de notre mode de vie. Et on euthanasie cette espèce qui n’a rien demandé à personne quoi… Je trouve ça hallucinant. On n’a pas mérité ce virus, personne, mais en tant qu’espèce on a tout foutu en l’air et on continue à le faire. C’était pareil au premier déconfinement. Il y a un moment où il faudra arrêter ces conneries, j’ai envie d’un bouleversement dans nos manières de faire. Je me suis rendu compte pendant le premier confinement qu’il était important pour moi d’aller marcher dans un parc et d’aller près des arbres. On ne s’en rend pas compte mais quand tu te retrouves cloîtré dans ton appart et que t’en peux plus, que t’as les yeux rouges, que tu fais de la musique et que t’entends tout le monde se plaindre puis que tu sors un peu prendre l’air tu te dis « putain j’étais pas dans la même planète pendant quelques temps. »

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