L’Ovni Self Hell de While She Sleeps

While She Sleeps l’avait annoncé, Self Hell serait surprenant ou ne serait pas. La bande de Sheffield n’avait pas menti en proposant un album expérimental où influences et expérimentations forment un tout déroutant et percutant dont la sortie est prévue le 29 mars.

A la première écoute de Self Hell, il est impossible de comprendre réellement dans quelle direction While She Sleeps a décidé de nous emmener. L’enchaînement des titres peut sembler décousu et sans fil rouge, nous laissant à la fois fascinés et dubitatifs. Fascinés parce qu’il est évident qu’on est en train d’assister à quelque chose de symboliquement fort, et dubitatifs parce qu’on ne sait pas trop quoi en penser. C’est en ça que la seconde écoute devient primordiale : l’album y prend une nouvelle dimension, et le génie du groupe nous apparaît plus évident que jamais.

Pour bien saisir l’essence de Self Hell, on pourrait énumérer chaque titre, un par par un, et l’analyser en profondeur tant l’univers est varié. On serait donc tentés de dire que Peace of Mind a tout à fait l’étoffe d’une introduction de concert avec des vibes à la Hollywood Undead ou Papa Roach. On se dirigerait donc vers un album très franchement teinté de nu-metal plus que de metalcore, et Leave Me Alone ou Self Hell ne pourraient que le confirmer. Puis Rainbows débarque sur un retour du classico-classique While She Sleeps, au refrain entraînant et à l’électronique frôlant l’industriel. Les guitares y trouvent une place de choix, et d’une technicité à ne plus démontrer (Sean Long fait partie de ces guitaristes multifonctions aux sonorités rafraîchissantes pour un genre qui tourne parfois en rond). Wildfire répond également à ce schéma, de manière encore plus incisive avec des relents punk rock évidents. On part clairement sur l’hymne de l’album, dont le refrain sera repris en chœur à coup sûr (« There is a fire, it’s burning in my soul« , « Il y a un feu qui brûle à l’intérieur de moi« ).

While She Sleeps serait-il donc tout simplement en train de varier les plaisirs en instaurant des influences néo, voire punk par moment, dans son style initial ? Eh bien, pas seulement, non. No Feeling is Final en est peut-être le plus bel exemple : un titre purement instrumental, en featuring avec Aether, producteur suédois de musique électronique (d’ambiance). Une parenthèse déroutante qui intervient juste après l’énorme banger Wildfire, et qui sonne davantage Aether que While She Sleeps. No Feeling is Final survient tel une pause presque méditative dans l’amas d’influences qu’a été Self Hell jusque-là. Amas qui reprendra ses droits dans la foulée, avec l’oubliable Dopesick (encore très Hollywood Undead, sentiment conforté par la voix du jeune Fin Power, du groupe STONE). Oubliable car elle peut rapidement tomber à plat, malgré l’émotion transmise. Plus oubliable en tout cas que le puissant Down et la ballade bouleversante To The Flowers. Plus oubliable aussi que le nouvel ovni instrumental Out of The Blue, pur objet d’expérimentation : la bande de Sheffield a probablement décidé de tenter des trucs en s’installant devant un clavier, et ça donne une succession de sons électroniques progressifs, planants et singuliers.

Enemy Mentality résumera peut-être à elle seule l’ensemble de ce qu’on vient dire : on a du While She Sleeps, on a du neo, on a du progressif, on a du désordre et ça fonctionne étrangement bien. Radical Hatred Radical Love clôturera cette épopée sur une nouvelle ballade que l’on voit bien couronner les concerts également (et faire pleurer dans les chaumières, accessoirement). C’est émotionnellement puissant (« I’m in love with the pain, I will never forget but I pretend to let go«  – « Je suis amoureux de la douleur, je n’oublierai jamais mais je donne l’impression de laisser couler »), et c’est du While She Sleeps pur jus.

Avec Self Hell, on sent cette volonté d’explorer les genres, d’enfoncer des portes et de traverser des frontières. Là où certains auraient pu se planter royalement, While She Sleeps réussit ce fameux tour de force de surprendre sans se perdre, d’évoluer sans se tromper. On n’est certainement pas sur l’album le plus facile à écouter mais plus que probablement sur le plus personnel du groupe, où la prise de risques devient fil rouge. Groupe en constante évolution depuis quelques années maintenant et qui a atteint les sommets qui lui permettent d’oser, et de démontrer. Parce que oui, Self Hell est une pure démonstration, à la fois technique et narrative. De quoi remercier les fans qui ont contribué financièrement à la création de cet album auto-produit, en supportant le groupe et œuvrant ainsi quotidiennement à sa survie et à son épanouissement.

Laisser un commentaire