Thibaud Demey alias Doowy a 27 ans et travaille actuellement à Bruxelles en tant que producteur et musicien professionnel. Il a fait des études d’ingénieur du son et suite à cela, a enchainé les projets musicaux. Parmi ses participations les plus réputées, on retrouve Mustii et Lost Frequencies pour lesquels il a performé en tant que multi-instrumentiste. Nous avons passé un moment à discuter avec lui et il nous a notamment expliqué comment il vit actuellement la crise en tant qu’artiste et en a profité pour nous présenter son nouveau projet perso.
Comment vas-tu en ce moment ? Comment te sens-tu avec ce nouveau confinement qui vient d’être annoncé ?
Doowy : Je ne suis pas très surpris, on s’y attendait un peu tous. Evidemment, c’est déprimant parce qu’on ne peut plus sortir ni faire de concerts. Et malheureusement, souvent dans ces mesures, ce sont les secteurs de l’horeca ou de la culture qui sont visés en premier et je trouve cela un peu dommage. Sinon ça va, je ne suis pas tout seul, je peux encore aller faire de la musique dans mon studio… Ce n’est pas la joie mais c’est un peu comme tout le monde, je crois !
Et le premier confinement, tu l’avais bien vécu aussi ?
Doowy : Le premier confinement, comme c’était la première fois, j’étais vraiment en bad et déprimé, je me demandais « qu’est-ce que je vais faire ? »… Après, ça m’a permis d’être créatif, de rebondir en faisant des petites covers. Donc ça a été d’abord deux semaines de grosse déprime et puis, je me suis dit que je n’allais pas rester à rien foutre. Ça me laissait enfin le temps de lancer mon projet perso auquel je pensais depuis perpette.
On va justement parler un peu de ton projet perso plus tard, mais on voulait d’abord te demander à quand remonte ton « vrai » dernier concert ?
Doowy : Pendant les vacances d’été, j’ai commencé à jouer pour une artiste qui s’appelle La Maja et on a fait ensemble un vrai concert à la Chapelle de Boondael à Ixelles début septembre. C’était là mon vrai dernier concert. Avant cela, c’était en mars avec Lost Frequencies en Pologne. Ce jour-là, ils venaient d’envoyer un message assez flippant à toute la Pologne pour dire que le virus était arrivé dans le pays et qu’il fallait éviter de sortir de chez soi, faire attention. Le concert était normalement sold out donc 1 500 personnes étaient attendues et finalement, 1 400 personnes sont venues, il y a juste eu 100 froussards. [Rires]
Le concert avec La Maja était-il retransmis en live ?
Doowy : Non, le concert a eu lieu à un moment où il n’y avait plus beaucoup de cas et on espérait que les concerts allaient reprendre correctement. Donc c’était un concert normal, avec 100 personnes à l’intérieur. C’était cool mais voilà, ce n’est pas la même ambiance que d’habitude parce que les spectateurs sont assis et c’est contrariant. C’est super chouette de retrouver le contact avec le public mais le voir assis quand tu joues un morceau sur lequel c’est censé bouger et mettre l’ambiance, c’est super frustrant. On aimerait bien que les gens transgressent un peu les règles mais on se dit aussi que ce n’est pas bien ! Pourtant, tous les concerts que j’ai pu faire pendant cette période particulière, les gens ont toujours bien respecté les mesures, je pense de peur qu’on ne puisse plus en refaire.

Il est vrai qu’on a pu observer que les gens respectaient plus facilement les règles sanitaires dans une salle de concert que dans un bar ou un restaurant.
Doowy : Oui et c’est fatiguant d’être surcontrôlé, de devoir toujours montrer patte blanche dans la culture. J’ai une amie qui travaille au Théâtre National et qui a eu rendez-vous avec l’expert virologue en charge des protocoles pour les salles de spectacle. Il expliquait qu’ils en avaient établi un qui permettrait aux salles d’ouvrir à 100 %, évidemment avec des mesures et des places assises. Mais notre gouvernement fédéral ne le valide pas car d’autres experts ne seraient apparemment pas d’accord. Et ce qui est un peu triste dans tout ça, c’est qu’on a tendance à rejeter la faute aux divisions de pouvoir, soit ce sont les experts, soit c’est la région flamande, etc. Je m’égare un peu dans ma réponse à ta question mais j’en profite aussi ! [Rires]
Tu m’as dit précédemment que tu avais profité du confinement pour lancer ton projet solo. Mais as-tu également mis d’autres choses en place telles que des lives en streaming ou du crowdfunding ?
Doowy : Comme je suis aussi producteur, j’arrange beaucoup de morceaux pour d’autres artistes et j’ai donc continué cette activité avec certains d’entre eux, malgré le fait qu’il n’y ait pas beaucoup de moyens financiers en ce moment, car il n’y a pas eu de festivals cette année et ça représente normalement des rentrées d’argent pour eux. J’ai quand même essayé d’être le plus créatif possible pendant cette période, notamment avec mon projet, j’ai aussi écrit et joué des guitares pour le dernier EP de Lost Frequencies, Cup of Beats. Après, il n’y a pas 10 000 opportunités en ce moment, on essaye de faire comme on peut. C’est au ralenti et il y a un manque d’argent à injecter pour sauver la culture. Donc pour résumer, je n’ai pas fait de live stream ou ce genre de trucs, mais je continue à bosser en studio.
On va maintenant parler de ton projet perso et on souhaiterait notamment te demander d’où vient le nom Doowy ?
Doowy : Alors il y a deux raisons. La première est en lien avec la série américaine Malcolm, qui raconte la vie d’une famille avec des gosses qui font plein de bêtises. Et le petit dernier, qui s’appelle Doowy, est celui qui se fait un peu martyriser par ses deux grands frères, et je m’y identifie comme étant le cadet de ma propre famille. La deuxième raison, c’est que je m’appelle Thibaud Demey et si tu inverses le m pour en faire un w, tu auras Dewey qui se prononce comme Doowy en anglais. Mais ça, c’est pour les gens un peu plus complotistes ! [Rires]
D’où t’est venue l’idée de lancer ce projet solo ?
Doowy : Ca faisait depuis longtemps que je pensais à le faire mais je ne suis jamais passé à l’action car j’ai toujours eu d’autres projets, notamment des groupes. A l’époque, j’ai eu un premier projet : Idem, qui était un groupe de rock en anglais. Puis j’ai eu un groupe de rock français qui s’appelait Spleen, ensuite j’ai commencé à jouer pour Mustii, après il y a eu Lost Frequencies… Et donc j’ai chaque fois été fort pris par tout ça. Puis je pense aussi que je n’avais pas le courage pour me lancer, je n’avais pas vraiment osé… Puis je me suis dit à un moment donné « bon coco, tu as 27 ans, c’est un peu le moment de se lancer ». Je suis aussi passé par un évènement pas cool dans ma famille, j’ai perdu une personne que j’aimais très fort et qui m’a toujours poussé à faire ça. Avec le confinement, je me suis donc dit que c’était le moment pour faire mon truc, faire la musique comme je la pense. Parce que souvent, je fais des musiques pour d’autres, je travaille avec des artistes et donc, ça consiste souvent en des compromis. Ce qui est chouette et intéressant parce qu’on y met de nos idées, mais je me suis rendu compte que j’avais souvent envie de certaines choses et que j’attendais de les réaliser par l’intermédiaire des autres. Et donc avec Doowy, je ne voulais plus compter sur les autres pour réaliser ce dont j’avais envie.
De ce qu’on a pu voir sur les réseaux, tu produis essentiellement des reprises. Mais comptes-tu aussi produire des compositions originales plus tard ?
Doowy : Pour l’instant, oui c’est cela. C’est pour ne pas encore tout dévoiler et aussi amorcer le fait que je vais composer de la chanson française. Quand j’ai dit que j’allais commencé un projet solo et que j’avais fait écouter à quelques personnes mes idées, elles étaient toutes là : « Ah, ce n’est pas de l’électro ! », ce qui est assez drôle parce que j’ai joué avec Mustii et Lost Frequencies durant ces 2-3 dernières années alors qu’avant cela, j’ai fait 10 ans de rock voire punk rock et j’ai aussi des influences de rock français comme Matthieu Chedid, etc. Mais je ne vais pas du tout rester dans la catégorie reprises, je compte bien produire mes propres chansons.

Ton travail avec Mustii et Lost Frequencies a-t-il influencé ton style et ta créativité actuels ?
Doowy : Avec Mustii, j’ai pu prendre connaissance du fonctionnement du secteur de la musique, par exemple quel professionnel aller voir, ce qu’est un attaché de presse, comment s’entourer et s’équiper, etc. Mais musicalement, je n’ai pas du tout été influencé. Je vais faire de la pop française, ce qui n’aura rien à voir avec Mustii ou Lost Frequencies. Ceci dit, il y a des inspirations car je leur ai fait écouter mes idées et ils m’ont donné leurs retours dont j’ai pris compte. Ca nous arrive souvent de nous échanger de la musique. Pour résumer, ils ne m’ont pas influencé musicalement mais travailler avec eux m’a apporté des outils, j’en apprends beaucoup avec eux.
Comment envisages-tu la suite des choses ? La crise t’empêche-t-elle de te projeter ou au contraire, elle te motive ?
Doowy : C’est un vrai questionnement, j’avoue… et c’est très démotivant par moment. En fait, quand tu veux sortir une chanson et que tu veux bien le faire, tu dois établir tout autour un calendrier de communication et ce n’est pas évident car normalement, tu peux prévoir un petit concert de release, des évènements en contact avec les gens, etc. Et en ce moment, tu ne peux pas prévoir ce genre de choses à l’avance car la situation change tout le temps, un jour tu peux faire ça, l’autre jour tu ne peux pas.
Y a-t-il des choses que tu aimerais voir changer au niveau de ton statut d’artiste ?
Doowy : Il y a une chose qui me dérange le plus personnellement, et ça dérange en général les personnes qui ont le statut d’artiste aussi, c’est le fait d’être pris pour un chômeur qui profite du système. Par exemple, j’ai des rendez-vous avec Actiris pour prouver que je recherche de l’emploi. C’est très drôle, j’ai été appelé une fois à un rendez-vous avec eux deux jours après avoir joué devant 25 000 personnes à Tomorrowland. On pourrait limite prouver plus de contrats par an pour renouveler le statut mais qu’on arrête de devoir prouver qu’on recherche du travail.
Si tu pouvais t’adresser directement à nos politiciens, tu leurs dirais quoi ?
Doowy : Euh, publiquement ? [Rires] Je leur dirais d’essayer de faire davantage la part des choses, de prendre plus en compte la culture, comme j’ai pu le dire à Sophie Wilmès. J’ai eu l’occasion de m’adresser à elle par message en réaction à ma petite vidéo qui avait fait le buzz. C’est super important de ne pas nous laisser tomber et ils le savent très bien. Mais pour avoir côtoyé ce cadre politique durant le temps d’une réunion avec Denis Ducarme, je remarque que tout est pensé en termes d’électorat et je trouve ça triste. Cette réunion en question, et je vais être franc, elle n’a servi à rien au final à part à faire une photo et à publier dans les médias « Denis Ducarme a rencontré la Culture » dès le lendemain matin. Mais ça n’a absolument rien changé. Au final, tu pouvais toujours te rendre chez Ikea et la jauge était adaptée en fonction de l’espace, des mesures, etc. alors qu’en culture, on fait toujours la mauvaise mine quand on parle de 200-400 personnes dans une salle. Bien évidemment, je parle à partir du moment où on déconfine. Maintenant, je trouve tout à fait normal de penser désormais au personnel des soins de santé et cela reste la priorité. Puis je dirais aussi à nos politiciens de réinvestir dans la santé car il y a encore deux ans, on réduisait ce budget et ce sont plein de lits d’hôpitaux qui ont été enlevés. Cela nous amène du coup dans une situation où on doit confiner de ouf et on n’a plus assez de moyens… Mais au-delà de ça, j’espère qu’on déconfinera plus facilement et plus vite la culture, parce qu’on sait que ce n’est pas un endroit lié aux contaminations, qu’ils feront attention à cela et qu’ils le prendront en compte.